03/01/2014

L'Embellie

Paru en septembre 2013
(( Un article pour le site du magazine Le Pourquoi pas !)) 




L’Embellie, de Auður Ava Ólafsdóttir, aux éditions Zulma, est un joli livre qui tape à l’œil dans les rayons de ma librairie. Couverture rose, présentation soignée, on peut tout de suite se dire que c’est un livre de fille ; oui, mais pas que. Un livre à faire lire aux hommes qui aiment d’amour les filles, aussi. Comme dans Rosa Candida, le premier roman de A. A. Ólafsdóttir traduit en français (mais écrit après L’Embellie), on retrouve le thème de la parentalité, du couple, et puis la vie comme elle vient, à prendre avec des sourires au coin des lèvres.

On a lu beaucoup de commentaires dans la presse à propos d’A. A. Ólafsdóttir, et avant même d’avoir ouvert l’un ou l’autre de ses livres, j’étais tombée sur une émission de radio où la voix fluette et hésitante de l’auteur résonnait comme un cristal sur les ondes –l’émission Hors-Champs sur France Culture, qui peut être réécoutée ici.

On sait par avance, du coup, que L’Embellie raconte l’histoire d’une femme à un moment charnière de sa vie, qui s’offre des vacances d’hiver en forme de road trip à travers son île en pluie, en plein mois de novembre, météorologie exceptionnelle à cette époque de l’année en Islande. L’élément déclencheur de ce départ pourrait être tragi-comique : se faire plaquer par son amant ET son mari le même jour, gagner deux fois à la loterie, hériter ponctuellement de l’enfant de sa meilleure amie. Mais rien n’est trop gros ni trop absurde pour notre héroïne qui reste relativement stoïque face à une situation démente. On croise en vrac : des animaux morts, une montre à deux cadrans, des joggeurs qui se courent après, des pianistes en musique de fond, des pêcheurs et des éleveurs de moutons, un enfant au nom comme une clef magique, Tumi, malentendant et qui n’y voit guère mieux, onze langues plus la langue des signes, des voyantes, encore des animaux morts, une femme enceinte de jumelles qui joue de l’accordéon et boit du vin rouge sur son lit d’hôpital, des orages, des inondations, des semi-noyades et, comme l’annonce le titre, le soleil au bout du chemin.

Au milieu de tout ce bric-à-brac, on suit la narratrice comme une silhouette d’ombre et de lumière qui a toujours un train d’avance sur le lecteur. Pour lui -pour nous- elle soulève le voile sur son existence présente et passée, pointe du doigt quelques moments clefs de la vie d’une femme, et laisse retomber le voile sans un bruit. C’est qu’elle ne parle pas beaucoup des choses essentielles, ou bien qu’elle n’est pas vraiment entendue par ses proches, cette narratrice, traductrice de son métier, qui part à la recherche d’elle-même au pays du silence, accompagnée par un enfant malentendant. Qu’est-ce qu’on dit à un petit de quatre ans qui ne peut pas entendre le son de notre voix ? Qu’est-ce qu’on dit à un mari qui nous quitte parce qu’on ne veut pas d’enfant ? Qu’est-ce qu’on fait de son cœur quand on est une femme qui a du mal à s’engager -comme on entend qu’une femme s’engage socialement, amoureusement, maternellement ?
À travers le récit d’un voyage initiatique, A. A. Ólafsdóttir parle surtout de féminité et de liberté. Pas celle des Femen qui avancent les seins nus dans le monde. Il s’agit plutôt ici de la liberté de nos sentiments, de notre histoire, la liberté d’être parfois égoïste et pudique. L’auteur fait revenir la narratrice jusqu’aux sources. Les étapes de sa vie, le passage de l’enfant-fille à l’ado-femme, puis, peut-être à la femme-mère. On y devine à demi-mot la transmission d’une féminité à travers les générations, mère, grand-mère. On y retrouve le regard des hommes, de nos pères, nos frères, nos cousins, amis, maris, amants. On se demande avec elles -auteur et narratrice- ce que c’est que fonder une famille, ou de n’en pas fonder, justement. C’est quoi le temps pour soi ? Un bain moussant au bord de la rupture, ça peut-il faire mourir de bien-être ? Et puis la nature belle et terrible de l’Islande, les éléments vivants qui nous confrontent à notre condition d’humains.

On peut reprocher à ce livre de laisser le lecteur à la surface de l’histoire ; ce n’est pas si facile, malgré le côté fantasque de certaines situations, d’entrer dans ce récit lent et discret, qui fond longtemps dans la bouche comme un bonbec aigre-doux. Ça sent la nostalgie, les jours de pluie, les relations mortes-nées à côté desquelles on est passé sans savoir. Le livre menace de nous tomber des mains parfois, et il faut s’accrocher, comme s’accroche la voyageuse, accepter d’être, comme son petit compagnon, un peu sourd, un peu aveugle à cette histoire, mais poursuivre quand même le chemin jusqu’à cette embellie tant attendue. Si on aime, on peut continuer avec Rosa Candida qu’il vaut mieux lire après je trouve. Il est toujours question du voyage, de l’enfance, du fantasque et de la pudeur. Mais le héros est un jeune homme, et l’histoire se passe sur « le continent », comme l’écrit l’auteur.

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