26/05/2014

Drôle de printemps.

Hier soir je regardais le débat sur les européennes à la télévision. J'ai appris sur les réseaux sociaux, vers 20h, le haut pourcentage de votes en faveur du front national, et, par curiosité, j'ai eu envie d'observer les réactions de ceux dont les voix portent le plus dans notre pays, et qui sont censés nous éclairer sur le sens de cette journée et de ces votes.
Je ne m'attendais pas spécialement à des échanges supérieurs à ceux que l'on voient habituellement, mais dans des circonstances justement particulièrement, on serait en mesure de s'attendre à mieux.
- Pas du tout.

D'abord on ne nous parle pas de ce que ce vote va changer concrètement. Ce que le résultat implique, on ne le sait pas. En tout cas, ça n'a pas l'air d'être la priorité. La priorité, comme d'hab, c'est de savoir si oui ou non c'est un vote sanction pour le gouvernement en place, et si oui ou non cela signifie qu'Untel va se présenter pour les présidentielles de 2017.
Mais ce que cela implique pour la place de la France en Europe, pour les prises de décisions du parlement européen, ça, ça ne vient qu'en fin d'émission, où l'on apprend que globalement l'équilibre gauche/droite reste le même au Parlement, et que du coup ça ne change rien.
Ah bon.

C'est donc de l'ordre du symbole, ce qui nous arrive. C'est donc de l'ordre de l'image.
Alors quelle image donnons-nous ? Ou plutôt, peut-être encore plus intéressant, quelle image avons-nous de nous-même ?
Sommes-nous, un quart d'entre nous des xénophobes, homophobes, misogynes et nationalistes ? Je ne pense pas.
Une des rares choses intéressantes que j'ai entendue hier, c'est que si le pourcentage de vote en faveur du fn est hallucinant, leur nombre de voix n'est pas si haut, en vérité. C'est à dire que le taux d'abstention, de votes blancs et nuls est immense. On le sait bien, mais il faut le redire.

Sur les réseaux sociaux toujours, il y a eu bien sûr, une vague de réactions, souvent pleine de colère à l'encontre, d'abord des abstentionnistes, ensuite des votants qui ont osé mettre un bulletin fn dans l'urne.
A la télévision, on observe ces deux races d'êtres humains à la loupe, tentant de décoder grossièrement ce qui pousse les uns et les autres dans de tels retranchements.
Ça ne me paraît pourtant pas très compliqué.
Il suffit d'entendre tel ou tel membre du personnel politique dire avec aplomb, micro en main, face à la caméra, que le peuple n'a pas compris le message du parti / l'enjeu de ces élections / la campagne menée / les contraintes économiques etc. La liste est longue de ce que le peuple ne comprend pas, visiblement.

Mais cela fait maintenant presque 10 ans, que nous avions voté à 55% contre l'Europe qui était en train de se construire. Et globalement cela n'a pas eu beaucoup de poids.
Et nous avons voté il y a 2 ans pour une politique dont le message était, en gros : plus de paix sociale et moins de pouvoir à la finance.
Or les questions sociales ont divisée la France, et le pouvoir des gros bras de la finance n'a pas diminué -en tout cas vu de cette lucarne du peuple qui n'y comprend rien et dont nombre d'entre nous observent et subissent la situation.

Partant de ces constats, comment croire encore en des partis dont les guerres internes ternissent l'image et dont les revirements de politiques discréditent toute parole ? Quel moyen avons-nous, dans une telle situation, d'exprimer notre désir de changement ? Les pavés sont usés, les slogans vidés de tout sens et les manifestations ne servent plus à grand chose puisque, quelque soit le gouvernement, la réponse est toujours « ce n'est pas la rue qui gouverne! ». Mais qui gouverne alors ?
Pas moi, puisque je fais partie de cette sale race d'humains abstentionnistes, pire que ça, même pas inscrit sur les listes électorales. Pourquoi ? Parce que le mépris du personnel politique envers les citoyens français ne me donne aucun désir d'implication dans ce qui se passe. Pourtant il est faux de croire que cela ne me touche pas.
J'aimerai pouvoir dire mon mécontentement. Mais si je vote blanc, c'est comme si je m'abstenais.

Le succès du fn ne repose plus sur un discours xénophobe (bien que ses membres les plus actifs et les plus influents le soient encore évidemment).
Son succès repose avant tout sur la reconnaissance de ce mécontentement.
Dire donc que les abstentionnistes sont des irresponsables et les votants fn des fachos, c'est renforcer le pouvoir de la parole qui reconnaît la légitimité à être en colère ou simplement las de tout ce cirque politico-médiatique.

Un premier moyen de contre-carrer la montée des votes fn, et celle de l'abstentionnisme, ce serait de proposer aux électeurs la reconnaissance de leur refus de se faire prendre pour des imbéciles.
C'est ce qui existe dans certains pays, qui prennent en compte davantage qu'en France le vote blanc : les Pays-Bas, L'Espagne, le Brésil, la Colombie et le Pérou: pour ce dernier pays, lorsque deux tiers des électeurs votent blanc, le scrutin est annulé, ce qui veut dire que le peuple possède, d'une certaine manière, un droit de véto.
Encore faut-il que le véto soit entendu (cf. nos 55% en 2005...).

Ce qu'il faudrait donc, c'est que le personnel politique accepte d'entendre dire que les élus ont moins de légitimité qu'ils ne le prétendent, et par conséquent qu'ils soient plus respectueux des engagements qu'ils prennent auprès des électeurs. Pas facile hein.
Ce qu'il faudrait, c'est qu'ils soient moins méprisants envers ce peuple qui « ne comprend pas », mépris doublé de cynisme puisque, bien souvent, leur but est précisément de n'être pas compris. Ou de ne laisser comprendre que ce qui les arrange le mieux à un moment ou à un autre.

Il est vrai que cracher personnellement sur chaque membre du personnel politique, sur les journalistes, sur ceux qui votent, qui ne votent pas, qui votent mal, ça soulage. Et puis il faut être bien-pensant.
Mais si, au lieu de cela, nous acceptions le choix de chacun, et que nous l'intégrions, non pas comme l'erreur des uns ou des autres, mais comme l'erreur d'un système dans lequel les gens ne se sentent plus impliqués.
Si nous nous dotions des moyens d'améliorer durablement notre système démocratique ?

La reconnaissance du vote blanc ne serait bien sûre pas suffisante à elle seule. Mais ça pourrait changer la donne. Et c'est d'ailleurs pour cela qu'on ne l'applique pas.

En attendant le jour heureux où nous irons, non pas vers le mépris de ceux qui pensent différemment de nous, mais vers l'acceptation réelle d'un échec de notre système politique, il y a fort à parier que tous ceux qui ne sont pas convaincus par les discours que l'on nous sert seront toujours plus nombreux à voter fn, ou à ne pas voter. 

Article à propos du vote blanc, dans Libé.  

 


Résultats des européennes 2014, graphique de Contrepoints