12/01/2014

Neverdays - Alizé Meurisse

Cet article est paru dans le numéro 9 du webzine Feather, en ligne ici: click


Neverdays est le troisième roman de Alizé Meurisse et je n'en avais pas entendu parler avant. Comment ? Mais où étais-je et que faisais-je ? 


Alizé Meurisse par Raphaël Lugassy


C'est dans un magazine qui présentait son livre mi-août, pour la rentrée littéraire que j'ai finalement découvert ce phénomène littéraire et, après avoir fureté sur le net à la recherche de plus d'informations, je me suis plongée dans son univers. Neverdays est un livre pas trop épais à la couverture sombre, édité par Allia et mis en évidence dans le rayon rentrée litté de mon libraire. 

 

Alizé Meurisse a quitté Paris pour s'installer à Londres et elle n'est âgée que de 27 ans. Ses deux premiers romans, Pâle sang bleu (2007, Allia) et Roman à clefs (2010, Allia) avaient été remarqués par les critiques et, après avoir lu Neverdays, j'ai bien envie de me les procurer aussi, pour voir l'évolution durant ces six années et parce que l'univers de cette artiste m'interpelle, tant sur le fond que sur la forme.
 Je dis artiste en appuyant fort sur ce mot, car Alizé Meurisse ne se contente pas d'écrire, elle est aussi photographe et peintre. On a pu voir quelques unes de ses peintures au Grand Palais (Paris), au mois de juin dernier.


 Au Grand Palais

Mais revenons à son dernier roman, Neverdays.
C'est l'histoire d'un type dont toutes les femmes rêvent: une star de cinéma qui ramasse les donzelles à la pelle et se fait un max d'argent en tournant des films à gros budget, tout ça parce qu'il a un sourire digne des meilleures pub Colgate.
Est-il heureux pour autant ? Bien sûr que non. Notre star ressent une forme de vague à l'âme, de trop-plein des rapports creux, et c'est dans cet état d'esprit qu'il va découvrir un moyen de devenir ponctuellement quelqu'un d'autre, grâce à un médicament qui permet de troquer son ADN pour un autre. Et notre star va se transformer en un type lambda comme vous et moi, qui bedonne et qui calvitie et qui a les jointures qui craquent.
Ah, devenir quelqu'un d'autre ! Au fond c'est tout ce qu'il demande, comme ça peut nous arriver à tous, brièvement, par période, ou carrément tout le temps. Mais si on peut s'arranger avec des petites tricheries de temps en temps, le héros de Neverdays, lui, va subir de plein fouet les conséquences de ses actes.


J'ai lu qu'on comparait le roman de Alizé Meurisse au Portrait de Dorian Gray, d'Oscar Wilde, et si pour ma part je n'aurai pas fait spontanément ce parallèle, il est vrai qu'on y retrouve un côté fantastique et conte initiatique entremêlés, tout comme dans le célèbre roman. Mais l'écriture est très différente, on trouve dans Neverdays une forme de sinuosité qui nous perd parfois, des morceaux de phrases en anglais, non traduites, des digressions par kilos. Et surtout il ne s'agit pas ici de rester jeune et beau, mais plutôt de retrouver une liberté et une simplicité que la célébrité ne permet plus, et dont le héros a besoin comme d'une drogue.

Alizé Meurisse nous amène à voir le monde à sa façon, avec dérision et cynisme, un côté No futur distillé dans ces digressions incessantes qui nous prennent à l'entrée du livre comme un fil doré tissé dans la narration, et qui ne nous lâche pas.
 Petite voix persistante qui dégaine ses vérités et ses réflexions sur les rapports homme-femme, le capitalisme, les genoux des éléphants, le dentifrice bon marché, bref la vie, on se demande où elle va chercher tout ça, et on a presque l'impression que le récit est un prétexte pour nous communiquer une foultitude d'autres choses, toutes les choses qu'Alizé Meurisse écrit dans ses carnets, les notes de tous les jours et l'observation qu'elle fait de la société qui l'entoure. On navigue entre ses phrases incisives et mordantes de réalité tout au long du roman. Et quand vient la fin on en veut encore.


Pour poursuivre l'aventure, il nous reste ses peintures, dans lesquelles elles mélange différentes techniques et matériaux, collages, bouts de phrases (morceaux des ses romans), et toujours ce style incendiaire, tout en légèreté dans son roman mais qui prend une dimension plus profonde dans ses oeuvres.


 Salomé, de Alizé Meurisse

 Ah!, de Alizé Meurisse

Si tu as encore une hésitation avant de te plonger dans l'univers de Alizé Meurisse, tu peux l'entendre causer et lire des morceaux de son livre ici.

Elle a aussi mis en ligne dernièrement (octobre) une petite vidéo avec ses mots tapés à la machine, un beau montage et une approche différente de son écriture, ça se passe ici.

Par ailleurs, et je te le dis par pure cancannerie, sache qu'elle réalise les pochettes d'albums d'un rockeur dont elle est l'amie, et qui est très très connu -ce qui donne aussi un éclairage différent à son dernier roman. Et pour ne pas trop faire ma rédactrice people, je vais te laisser chercher par toi-même quel est cet artiste particulier. Un indice: c'est l'ex-chanteur de The Libertines. Hééé oui.

Pour te tenir au courant de l'actualité de Alizé Meurisse, tu peux aussi te rendre sur son site, ici

05/01/2014

Noël en Islande - Jól ou la famille terrible

((Article paru sur le site du journal Le Pourquoi pas en décembre 2013.)) 

A l'approche des fêtes, et puisque c'est un moment si important pour les Islandais, découvrons leur façon de fêter Noël et le jour de l'an dans le grand grand froid ! Vous l'ignorez peut-être mais la tradition de Noël là-bas n'a pas beaucoup de rapport avec la notre, excepté l'aspect festif et les cadeaux. Par exemple, zéro père Noël. A la place un personnage inquiétant (et toute sa famille!!) qui m'aurait fait frémir si j'avais été enfant sur l'île.
Avant d'entrer dans les détails, rapprochons-nous un peu de l'Islande pour bien comprendre en quoi Noël y est une fête vraiment sacrée.

Photo de Bergþóra Jónsdóttir

D'abord imaginez qu'il fait nuit tout le temps, et que la neige recouvre le pays, mais quand je dis la neige attention, ce n'est pas les quinze petits centimètres qui nous empêchent d'aller travailler ou de nous rendre à l'école. Non, il s'agit plutôt de tempêtes de neige qui peuvent se déclencher à n'importe quel moment car la météo islandaise est très changeante et capricieuse et il peut y avoir jusqu'à 1,50 mètre de poudre blanche! Pourtant, les Islandais sont habitués à ce climat et ça ne les empêche pas d'avoir une vie normale, avec toutes leurs activités. Mais Noël, Jól ou Yule et ses lumières restent selon les mots d'une Islandaise, une « bouffée d'air frais » au milieu de la grande nuit.

A l'origine, avant que le christianisme ne s'implante en Islande, Jól était une fête viking qui célébrait le solstice d'hiver et l'inversion de la course du soleil, annonçant l'allongement des jours. Les Vikings fêtaient cette période de l'année avec beaucoup beaucoup d'alcool et de danses, et ces festivités duraient des jours et des jours.
Maintenant, Jól est devenu une fête familiale: chacun décore sa maison avec beaucoup de soin, guirlandes lumineuses à l'extérieur et sapin à l'intérieur sont de rigueur. Des concours sont lancés pour déterminer qui a la plus belle décoration! Des gâteaux typiques accompagnent cette période, dont le fameux laufabrauð, une pâte fine et croustillante à partager avec tout le monde.
Il existe aussi des chants et musiques spécifiques à cette période que l'on écoute à partir du 1 décembre (mais ma source Islandaise affirme qu'il y a beaucoup de tricheurs qui les diffusent avant cette date!).
Jusqu'ici, à part le climat, vous devez vous dire qu'il n'y a pas beaucoup de différence avec notre façon de fêter de Noël. Mais j'y viens.

Imaginez que les Islandais n'ont pas de Père Noël, ni même de Saint Nicolas. A la place de ses personnages sympathiques qu'on cherche tous à rencontrer quand on est enfant, les têtes blondes d'Islande grandissent avec une certaine Grýla, et si vous vous dîtes qu'une Mère Noël c'est encore plus cool qu'un vieux barbu, détrompez-vous vite. Grýla est une ogresse géante qui vit dans les montagnes islandaises et dont le plat préféré n'est autre que le ragout d'enfants. A la période de Noël, elle descend dans les plaines à la recherche des bambins qui n'ont pas été sages dans le but de les dévorer. Et contrairement à notre Père Noël dont on ne sait pas grand chose, et qui a tout l'air d'être un éternel vieillard rebondi qui ne change même pas d'habits et qui a zéro vie en dehors de distribuer des cadeaux aux enfants, Grýla est le personnage de nombreuses histoires, elle a eu plusieurs maris dont les noms sont connus des Islandais, et elle vit dans une caverne que l'on peut situer géographiquement sur l'île, quoique ce dernier élément n'ait pas pu être vérifier pour de bon.
En fait, Grýla, comme la plupart des êtres légendaires d'Islande se voit dotée d'une vie propre, et plusieurs histoires raconte sa mort dans différentes circonstances, le « plausible » et le fantastique se mélangeant sans problème dans le folklore islandais.
Petite anecdote, à une époque Grýla effrayait tellement les enfants que le Parlement avait interdit aux adultes de les menacer avec ce personnage (comme on peut le faire en France, « si t'es pas sage le Père Noël ne t'apportera pas de cadeaux cette année! »).

Grýla est aussi la mère de personnages très très importants pour les enfants islandais, les treize lutins de Noël, les Jólasveinar . En fait si Jól est bien célébré le 24 décembre au soir, il faut considérer que là-bas, c'est une fête qui se déroule sur plusieurs semaines, car les treize lutins débarquent un à un dans les maisons islandaises pour distribuer des petits cadeaux aux enfants, et faire le maximum de bêtises possibles. Et si vous n'avez pas été sages, tout ce que vous récolterez dans les chaussures que vous aurez pris soin de mettre à votre fenêtre, ce sera une vieille pomme de terre rabougrie!
Voici les informations que j'ai pu trouver sur ces êtres vivants dans la montagne bleue (Bláfjöll), descendants des trolls, et dont les noms sont significatifs des habitudes malicieuses:


Le 12 décembre, c'est Stekkjarstaur (Jambes raides) qui descend de la montagne en premier. Il se glisse dans les bergeries et rend les moutons fous en essayant de traire les brebis dont le lait est plus que rare en cette saison. Il met une belle pagaille dans les troupeaux!
Giljagaur (Lutin de ruisseau) descend le 13 décembre et s’introduit dans les laiteries pour voler la crème du lait de vache dont il raffole.
Stúfur (Court sur pattes) qui arrive le 14 décembre gratte les fonds de poêles pour en extraire les restes et les manger.
Þvörusleikir (Lécheur de cuillères en bois) se glisse dans les cuisines et lèche les cuillères en bois qui ont servi à touiller la nourriture. On lui pardonne car c’est le plus maigre des treize Jólasveinar.
Pottasleikir (Lécheur de casseroles) vient lécher les casseroles et les marmites le 16 décembre. Pas besoin d'éponge avec lui, tu peux directement ranger ta vaisselle dans les placards après son passage.
Askasleikir (Lécheur de gamelle) est un lécheur de gamelle. Il se cache sous les meubles le 17 décembre et vide tout bol de nourriture déposé par terre pour le chien ou le chat.
Hurðaskellir, (Claqueur de porte) fait un boucan d’enfer dans la nuit du 18 décembre et empêche tout le monde de dormir.
Skyrgámur (Goinfreur de skyr) qui descend de la montagne le 19 décembre aime tellementt le Skyr (fromage blanc islandais) qu’il en mange à s'en faire éclater la panse.
Bjúgnakrækir (Voleur de saucisses) quant à lui adore les saucisses. Il engloutit toutes celles qu’il arrive à attraper le 20 décembre.
Gluggagægir (Curieurx voyeur) est tellement curieux qu’il épie par la fenêtre l’intérieur des maisons et s’empare des jouets qu’il trouve jolis.
Gáttaþefur (Renifleur aux portes) le lutin du 22 décembre, a un gros nez et renifle sous les portes. Il adore l’odeur des gâteaux de Noël. S’ils sentent bons, il tentera d’en chiper un ou deux.
Ketkrókur (Crocheteur de viande) le 23 décembre étant le jour où l'on prépare le mouton fumé en Islande, ce jólasveinar essaie d’attraper des morceaux de viande par la cheminée avec un crochet.
Kertasníkir (Voleur de bougies) est le dernier des lutins et c’est lui qui souffle toutes les bougies le soir du réveillon pour plonger la maison dans le noir pendant que les parents disposent les cadeaux sous l’arbre de Noël.
Ces êtres gourmands et farceurs sont accompagnés d'un chat terrible, Jólaköttur (Chat de Noël), qui, le 24, enlèvent tous les enfants qui ne portent pas de vêtement neuf. Les Islandais ont donc pour habitude de recevoir au moins un vêtement dans leurs cadeaux.

Le 24 décembre se déroule avec la famille proche, on mange du mouton fumé ou du rôti de porc également fumé, et les enfants reçoivent les cadeaux de leurs parents: pas de mystère sur leur origine, on a bien compris que ce n'est pas Grýla ou son infâme époux tout mou, Leppalúði qui sont supposé offrir quoique ce soit aux enfants.
Le 25 décembre, on reçoit la famille élargie, puis le 26 est consacré aux amis, on danse, on fait la fête.
Pendant tout ce temps, chaque lutin repart tout à tour vers la montagne...
Le 31 est une nuit magique pleine de légendes farfelues. C'est une nuit durant laquelle les vaches se mettent à parler, les phoques se transforment en humain, et les elfes déménagent. Les morts sortent de leur tombe et vont se promener, et les humains tirent des feux d'artifices.
Enfin, le 6 janvier est le dernier jour de Jól, et les Islandais font de grands feux de joie et festoient encore une fois avec les feux d'artifice restant (du 31!) avant d'entrer définitivement dans la nouvelle année.

Si ces légendes viennent apparemment du fin fond des âges, elles n'en restent pas moins très prégnantes dans les esprits islandais, et les médias relatent durant toutes cette période les méfaits des Jólasveinar. Loin d'être des récits uniquement destinés aux enfants, les légendes s'enrichissent selon les époques, comme le montre de tous nouveaux lutins, le très moderne Kortaklippir, le Coupeur de carte bleue qui viendra saisir la votre si vous dépensez trop d'argent et un autre larron, Faldafeykir, le souleveur de jupes qui aime se balader les nuits venteuses...
Attention donc si tous ces joyeux personnages se décident un jour à envahir l'Europe continentale! Vous êtes prévenus !!

03/01/2014

Petra Collins - The teenage gaze

Article paru en décembre 2013

(Un nouvel article pour le délicieux 3petitspoints magazine ♥, sur Petra Collins. Enjoy it.)




Petra Collins est une jeune photographe et créatrice de mode d'une vingtaine d'années vivant à Toronto, dont le travail traite avant tout du corps des femmes, partout présent dans ses clichés, mais défait du soucis de beauté canonique qui l'accompagne bien souvent. Loin d'une vision conventionnelle de l'esthétique de ses modèles féminins, elle se démarque en photographiant ses sujets dans une vie quotidienne qui ne masque ni les bleus sur les jambes ni le maquillage qui coule, ni les moments les moins glamours.


 

Au travers de sa série de photos The Teenage gaze, Petra Collins interroge ou révèle des instants d'intimité de la vie d'adolescentes à ce moment critique où l'on passe de fille à femme.
On trouve dans ces photos des sous-vêtements, des téléphones portables, des brosses, des tubes de rouges à lèvre et beaucoup de miroirs. Des filles qui se regardent, toisent leur propre image, se maquillent, se questionnent peut-être, exactement comme si la photographe n'était pas là.



Ce qui transpire de ces photos c'est une esthétique au plus près de l'être qui, plutôt que de le mettre en scène, le laisse évoluer dans son milieu, en cours, dans les soirées, entre amis, et qui en capte tout à coup la singularité. Les modèles de l'univers de Collins ont cet air de force et de fragilité mêlées, de grande solitude au milieu des foules, assez caractéristiques de l'adolescence et du sentiment qu'apporte la découverte de soi-même en tant qu'individu singulier.
Ici, un mélange d'enfance et de féminité, les corps qui s'habillent ou se dévêtent, interrogeant la sexualité, la sensualité, le désir et tout ce qui forge une identité sexuelle et amoureuse.




On pense à Virgin Suicides de Sofia Coppola en faisant défiler les photos de The Teenage gaze, tant Collins a su capter les regards et les lumières, et cette atmosphères vaporeuse mais toujours au bord de l'implosion. Et parfois d'une grande simplicité, ces images n'en sont pas moins porteuses de mystères et de profondeurs, comme celle de cette jeune fille dans une voiture, et dont les yeux se perdent dans le vague.




A quoi pense-t-elle, on se demande. A quoi pensent-elles, quand elles observent le monde qui s'étend devant elles, depuis un balcon ou une fenêtre ? A quoi pensent-elles, assises dans une chambre enfumée, seules, en mini-short au milieu des objets de leur enfance, qui n'ont pas encore tous quittés la pièce?




Cette série de photos rappelle les longues heures passées à attendre que la vie avance et s'accélère, que quelque chose émerge de nous-mêmes et des autres.
Et si les sujets ne posent pas, ne fixent pas l'objectif, on perçoit quand même qu'un regard pèse sur elles, un regard intériorisé, celui d'un homme à qui il faut plaire peut-être, ou celui de la société toute entière: être belle, être féminine, être.




Car Petra Collins est photographe, mais photographe ouvertement féministe, prônant la reconquête du corps des femmes par elles-mêmes, et on ne peut envisager ses clichés sans penser à l'angle militant qu'ils peuvent avoir. La réponse à la question floue et polymorphe qui naît de cette série (attente, solitude, féminité...) pourrait donc être: fais-le toi, deviens ta propre réponse, aime toi-même ton corps.




Il est à noté d'ailleurs que Petra Collins s'est récemment faite remarquée par son travail avec Alice Lancaster, en créant une polémique autour d'un tee-shirt qu'elles ont fabriqué pour la marque de vêtements American Apparel. Le sujet de la polémique ? Euh. Voir le tee-shirt suffit à comprendre que les réactions furent vives et nombreuses.




Pour suivre le travail de Petra Collins c'est ici et .
Et un entretien en français à propos du fameux ticheurt.


TheQ Camera

Article paru en novembre 2013

(( Bonjour tout le monde! Un article qui n'a rien, mais alors RIEN à voir avec la littérature! Cela dit j'suis ravie de participer au webzine 3petitspoints même quand il s'agit de causer d'autre chose que de litté. Je me suis donc penché sur une petite révolution future de nos appareils photos qui promet de nous envahir très rapidement. Alors gadget ou véritable outil de communication ? A vous d'voir! )) 






TheQ camera



Si tu es plutôt hyper connecté-e et fan d'Instagram, des réseaux sociaux plus largement, et des selfies en particulier, theQ camera est pour toi. 
 

Le concept, c'est un appareil photo flashy, mignon, costaud comme un jouet pour les moins de cinq ans, mais très branché puisqu'il te permet de prendre des photos, certes, mais aussi de les stocker dans un album virtuel en ligne (donc illimité), de les traiter avec des filtres vintage, et de les répandre en un flash sur les différents réseaux sociaux de ton choix. Tendance, et waterproof en plus de tout ça!



A l'origine, il y a trois amis qui refont le monde dans un bar et qui réalisent qu'ils ne sont pas satisfaits des différents appareils qu'ils utilisent pour photographier leur vie. Ni une ni deux, avec beaucoup d'entrain (et d'alcool apparemment!), ils décident d'appliquer le dicton « jamais mieux servi que par soi-même », et de créer un appareil parfait: coloré, fun, solide, waterproof, connecté, bref, theQ camera. Un appareil pour prendre tous les instant de nos vies en photos, et créer ainsi notre propre légende, comme l'annonce un de leur slogan.

Beaucoup de voyages et de travail plus tard, voilà le plus cool des appareils photos prêts à inonder le marché.



Comment ça marche ? C'est assez simple si l'on en croit les concepteurs scandinaves qui nous garantissent que l'on ne recevra pas theQ camera en kit, et que l'utilisation de leur création est un jeu d'enfant.

Alors d'abord, on prend une photo en appuyant sur le bouton, comme avec un appareil classique, jusque là tout va bien. Ensuite on s'assure sur l'écran de l'appareil que la photo prise est bien celle qu'on attendait (pas de doigt masquant l'objectif ou de copain qui grimace au mauvais moment!). Ensuite on sauvegarde directement sur notre compte Q lab, qui est l'endroit où on peut faire toutes les retouches et mettre le filtre qui nous convient. C'est là le moment critique parce qu'il faut pour ça être dans une zone où opère la 3G. Donc si tu comptais prendre en photo tes fesses ou tes pieds devant un glacier des Alpes ou du Kilimandjaro, il te faudra attendre d'être redescendu-e en terre civilisée pour pouvoir sauvegarder et partager ta photo. Apparemment, la photo reste quand même dans la mémoire de l'appareil pendant ce temps.

Puis tu n'as plus qu'à partager depuis ton appareil sur tes réseaux sociaux fétiches.



Un avantage majeur de cet appareil est qu'il fonctionne sans carte mémoire. Pas de saturation, pas de perte. Par contre évidemment il est nécessaire pour utiliser theQ camera d'avoir une carte SIM connectée à la 3G, et donc un smartphone. Mais... il y a déjà un appareil sur ton smartphone, non ?

En navigant sur le site de la marque je me suis donc demandée quel était le PLUS de ce Q appareil, par rapport à celui d'un Iphone ou autre Android. Peut-être la qualité de l'image (à voir quand les premiers seront vendus), ou tout simplement le concept, le côté solide de cet appareil, et le fait qu'il puisse aller sous l'eau. Pour 200 dollars, ça paraît un peu faible au final, mais que ne dépenserait-on pas pour être branché ? Rien qu'à voir la vidéo de promotion de theQ, t'as envie d'en être. D'avoir des jolis tatouages et de faire du skate avec une casquette tellement cool. De manger des glaces dans une piscine et d'avoir un maillot de bain arc-en-ciel-galaxy. Et de prendre des photos avec un Q appareil rose bonbon.



En vente fin octobre (un décompte a été lancé sur leur site!), ce tout nouveau gadget pourrait bien être un des craquages de Noël les plus cool à se faire offrir.

Quant à moi, je vais attendre d'en savoir un peu plus sur la qualité des photos prises par cette petite merveille de hype scandinave. Mais on peut d'ores et déjà lancer les paris que d'ici quelques mois d'autres marques sortiront leur propre social-camera. Et que dans quelques années, nous en aurons tous un dans la poche.




Kristin Marja Baldursdottir, Karitas

Article paru en octobre 2013
(( Bonjour tous! Une nouvelle chronique litté sur un livre islandais, pour le journal Le Pourquoi pas? J'en profite pour vous dire que si vous avez des livres islandais à me recommander, romans, poésies, théâtre, n'importe, j'suis preneuse ! En attendant bonne lecture, j'espère que ça vous donnera envie. ))





Je ne sais pas si tous les Islandais savent qui est Kristin Marja Baldursdottir, mais pour le public français, qui connait encore trop peu la littérature scandinave, on peut simplement commencer par dire qu'elle a reçu la Knight's Cross (en 2012) ainsi que l'Ordre du Faucon dans son pays, pour la qualité de sa contribution à la littérature islandaise.
Et si son premier livre traduit en français, Karitas, Sans titre, sorti aux éditions Gaïa* en 2008 avait été remarqué par la presse, vous êtes peut-être passé à côté de ce roman sans même le savoir.
Il est grand temps de vous rattraper et de vous plonger dans cette saga familiale qui nous parle de peinture, de femmes et de grand nord.

Quelques mots sur l'auteur avant d'entrer dans le vif du sujet. Kristin Marja, voyageuse et polyglotte, auteur de plusieurs romans ainsi que d'un recueil de nouvelles et journaliste dans le passé, a voulu offrir aux jeunes islandaises une œuvre mettant en avant des personnages féminins forts, pour leur montrer quelles avaient été les vies de femmes du siècle précédent et « tirer une sonnette d'alarme ». Selon elle, les conditions de vie des femmes en Islande sont en train de régresser, bien que le pays ait été, de loin, un précurseur en la matière.

Petits rappels:
  • Les femmes islandaises votent pour la première fois en 1908 aux élections municipales et les listes électorales leur sont désormais ouvertes.
  • C'est en 1915 que le vote est élargi aux scrutins nationaux.
  • En 1980, Vigdis Finnbogadottir est élue présidente, et devient la première femme à prendre la tête du pouvoir d'une démocratie. Elle sera maintenue à la présidence par les électeurs jusqu'en 1996, date à laquelle elle décide de ne pas se représenter.
On pourrait croire que dans un tel contexte la vie des femmes islandaises devrait être plus belle que n'importe où ailleurs. Pourtant, selon l'auteur, tout n'est pas si rose: « Les femmes islandaises ont les journées de travail les plus longues, et elles sont plus éduquées que les hommes également. Elles devraient être indépendantes, mais elles n’ont pas le temps. » (Propos recueillis en 2008 par Claudine Despax et Aurore Guilhamet, à lire ici). 


Loin des revendications féministes avec banderole et mégaphone, l'auteur décide donc de nous faire entrer au cœur de la vie de Karitas, enfant, jeune fille puis femme timide mais déterminée. Depuis sa naissance jusqu'à son grand âge, on court à ses côtés, après ses rêves et ses aspirations. Ses traits de caractères principaux ? L'indépendance et la ténacité nécessaire, tout au long des années, pour réussir cette chose simple et si difficile: devenir quelqu'une.
Kristin Marja dit: « J'ai voulu suivre une femme islandaise pendant cent ans. »
Et c'est ce qu'elle fait avec Karitas, Esquisse d'un rêve, puis Karitas, L'art de la vie, le second volet de cette saga.

Le premier roman suit la mère de Karitas à partir de 1915, personnage fort et emblématique, saleuse de hareng et mère de famille nombreuse, inspiré par la propre grand-mère de l'auteur. On voit l'émergence de Karitas, qui deviendra le nouveau tempérament indépendant de la fratrie, ses études et ses désirs, sa rencontre avec son mari et les difficultés auxquelles sont confrontées de nombreuses femmes (pour ne pas dire toutes!), comment faire cohabiter dans une seule vie toutes les entités que nous incarnons? Comment marier vie de famille et vie artistique ?


Le second roman est une suite chronologique des aventures de Karitas et commence en 1945.
On y retrouve tous les personnages du premier volet, et on poursuit avec eux cette grande fresque familiale avec, en son coeur, notre héroïne qui se débat entre son désir de peinture et les normes sociales féminines de l'époque.
Kristin Marja semble vouloir tout nous montrer. Les affres du milieu artistique, les difficultés et les joies de la création, l'amour empoisonné, (avec Sigmar le mari, ses bateaux de pêche et ses mystères).
La fratrie qui accompagne Karitas, la soutenant et l'entravant tour à tour offre de nombreux seconds personnages passionnants, et les voyages lorsqu'elle vit à l'étranger, notamment en France, où sa petite silhouette blonde se mêle à la faune de la bohème parisienne nous entraînent dans un flot d'aventures exubérantes.
Et puis Kristin Marja nous montre aussi les femmes entre elles, les rivalités, les jalousies, les trahisons, les complicités éternelles et les aides précieuses.
Le thème de la transmission est également abordé. La filiation, depuis la mère de Karitas, jusqu'à sa propre petite-fille. Comment les femmes des générations précédentes influencent et soutiennent les générations suivantes.
L'histoire est pleine de rebondissements, de rencontres, de retrouvailles. On passe d'un continent à l'autre, de générations en générations, avec tous les secrets de famille qui mûrissent en silence puis explosent, donnant à ces livres une très grande dimension romanesque.

Tout ça peut paraître très dense, et si les romans sont épais, rassurez-vous, l'écriture de Kristin Marja est pleine de finesse et de douce ironie. Elle nous entraîne dans ce voyage au long court en distillant chez le lecteur des sentiments rarement tranchés ou manichéens. On flotte dans la narration et quand on craint de perdre pied, une respiration nous est offerte par l'auteur: les différentes parties du roman sont entrecoupées de descriptions des oeuvres de Karitas, et l'on se sent non plus dans un roman, mais dans une exposition rétrospective de l'artiste, donnant davantage de vraisemblance au roman, si cela était nécessaire.

Kristin Marja, qui a fait beaucoup de recherche historiques pour bâtir son histoire et nous dépeindre la vie des femmes entre 1915 et 1999 nous montre également deux choses. Qu'elle a une bonne connaissance des arts picturaux depuis les représentations figuratives jusqu'à l'art abstrait et le surréalisme. Et qu'elle aime ardemment les paysages islandais qui sont, tout au long du roman, dépeints avec beaucoup de grâce. On voit Karitas dans le froid, on ressent le vent, la neige, les volcans, la mer tout autour et les oiseaux de l'île avec l'impression d'y être allé.

Si, comme moi, vous mettez un petit moment avant d'entrer dans ce roman, n'hésitez pas, il vous sera d'autant plus difficile d'en sortir. J'ai fermé le livre avec la sensation d'avoir fait une véritable rencontre, et Karitas et ses compagnes continuent de m'accompagner par petits bouts, en pointillés, exactement comme l'a voulu Kristin Marja Baldursdottir.

*Une petite précision qui pourrait vous aider si vous cherchez ses livres. D'abord édités chez Gaïa, une maison d'édition spécialisé dans la littérature scandinave, ils avaient pour titre Karitas, Sans titre (clin d'œil à certaines toiles d'artistes auxquelles le peintre n'a pas donné de titre), et Chaos sur la toile. Puis ce sont les éditions Points qui ont repris les titres et les ont modifiés, le premier devenant Karitas, L'esquisse d'un rêve et le second, Karitas, L'art de la vie. On note la touche beaucoup plus optimiste qu'ont apporté les seconds éditeurs.
Le texte ne change pas en revanche, puisque d'une édition à l'autre c'est toujours l'islandais Henry Kiljan Albansson qui signe la traduction.  

 Bonne lecture!

Jack Kerouac

(Extrait d'un article paru dans le webzine Feather en octobre 2013. J'y inventais un personnage, Betty Joyson, pour accompagner la lecture du livre Sur la route.)

(Kerouac)


Une liste non-exhaustive des choses à savoir sur Kerouac pour briller en société



Kerouac est franco-canadien et il parle exclusivement français jusqu'à l'âge de 6 ans. Il écrit le premier jet de Sur la route dans sa langue première. Il va vivre un moment à Paris et chercher à retrouver la trace de son ancêtre breton.



Kerouac rempli plein plein plein de carnets durant ses nombreux voyages, et pendant des années, carnets desquels il va tirer tout le matériel pour écrire -selon la légende- son tapuscrit de Sur la route en trois semaines. Ce tapuscrit que l'on appelle « rouleau original » et qui fait -ça, ce n'est pas une légende- plus de trente mètres de long. Il tient également une correspondance assidue avec tous ses amis, correspondance dont il dit que « c'est peut-être ça, le vrai livre. »
 
Sur la route est un livre autobiographique, dont le héros est en fait, à mon sens, Dean Moriarty, pseudonyme que Kerouac donne à son ami et compagnon de voyage Neal Cassady. Lui-même s'invente le nom de Sal Paradise, et il rebaptise ses amis William S. Burough (auteur du Festin nu) en Old Bull Lee, et Allen Ginsberg (Howl) en Carlo Marx. En fait, à l'origine, Kerouac n'avait pas masqué l'identité des protagonistes, mais pour se faire éditer, il a dû transformer les noms.


Kerouac a été marié trois fois, et de son second mariage est née une fille qu'il n'a jamais reconnue.
 
Le succès de son livre Sur la route va participer à la création du mouvement beatnik, auquel Kerouac n'adhère pas, et dont il se méfie même. Il va petit à petit s'éloigner de certains de ses amis et des étiquettes politiques que les uns et les autres tentent de lui coller sur le dos. Entre ceux qui le trouvent trop révolutionnaire et ceux qui voudraient le voir s'engager dans la contestation, Kerouac, qui devient bouddhiste, puis fervent catholique, et qui, semble-t-il, voudrait simplement écrire sa vision du monde, se trouve balloté et mis à mal par l'ensemble de la société américaine. 

Il meurt retiré à la campagne auprès de sa troisième épouse et de sa mère, à l'âge de 47 ans, d'une maladie liée à son alcoolisme et sans un kopeck en poche.
 
Le terme « Beat Generation » vient de « beat » qui signifie en argot brisé, fatigué, cassé, qui évoque aussi le beat, le battement du jazz, musique dans laquelle baigne ce mouvement artistique, et, pour Kerouac qui est francophone, ce terme ce rapproche également de béat, la béatitude.


 
(Burroughs, Ginsberg, Kerouac)


Et Betty Joyson dans tout ça ?
   On parle essentiellement des hommes quand on évoque la Beat Generation, et pourtant de nombreuses femmes ont accompagné les héros de ce mouvement artistique et social. Elles étaient, certes, les compagnes et les épouses délaissées des hommes à la vie dissolue, mais elles ont de leur côté aussi voyagé, écrit, peint, bref, exprimé leur propre vision du monde. Entre l'éducation des enfants assumés ou non par les hommes, et les diktats d'une société misogyne dans les Etats-Unis des années 50, elles ont tenté et parfois réussi à passer à la postérité, avec il est vrai, moins de succès que leurs homologues masculins. On peut pourtant gager qu'elles ont été muses, compagnes de voyage, amies, mécènes, intellectuelles et artistes actives et influentes dans la vie de tous ces hommes, dont elles ont été parfois les mentor.

On retiendra Joyce Johnson et ses Personnages secondaires, Diane Di Prima, poète, Hettie Jones, non traduite en français à ma connaissance et bien d'autres à chercher par vous-même si ça vous tente. Quant à Betty Joyson, inutile de googler son nom, c'est un personnage fictif inventé durant ma lecture de Sur la Route. 

 (Charles Jaynes et Joyce Johnson) 

L'Embellie

Paru en septembre 2013
(( Un article pour le site du magazine Le Pourquoi pas !)) 




L’Embellie, de Auður Ava Ólafsdóttir, aux éditions Zulma, est un joli livre qui tape à l’œil dans les rayons de ma librairie. Couverture rose, présentation soignée, on peut tout de suite se dire que c’est un livre de fille ; oui, mais pas que. Un livre à faire lire aux hommes qui aiment d’amour les filles, aussi. Comme dans Rosa Candida, le premier roman de A. A. Ólafsdóttir traduit en français (mais écrit après L’Embellie), on retrouve le thème de la parentalité, du couple, et puis la vie comme elle vient, à prendre avec des sourires au coin des lèvres.

On a lu beaucoup de commentaires dans la presse à propos d’A. A. Ólafsdóttir, et avant même d’avoir ouvert l’un ou l’autre de ses livres, j’étais tombée sur une émission de radio où la voix fluette et hésitante de l’auteur résonnait comme un cristal sur les ondes –l’émission Hors-Champs sur France Culture, qui peut être réécoutée ici.

On sait par avance, du coup, que L’Embellie raconte l’histoire d’une femme à un moment charnière de sa vie, qui s’offre des vacances d’hiver en forme de road trip à travers son île en pluie, en plein mois de novembre, météorologie exceptionnelle à cette époque de l’année en Islande. L’élément déclencheur de ce départ pourrait être tragi-comique : se faire plaquer par son amant ET son mari le même jour, gagner deux fois à la loterie, hériter ponctuellement de l’enfant de sa meilleure amie. Mais rien n’est trop gros ni trop absurde pour notre héroïne qui reste relativement stoïque face à une situation démente. On croise en vrac : des animaux morts, une montre à deux cadrans, des joggeurs qui se courent après, des pianistes en musique de fond, des pêcheurs et des éleveurs de moutons, un enfant au nom comme une clef magique, Tumi, malentendant et qui n’y voit guère mieux, onze langues plus la langue des signes, des voyantes, encore des animaux morts, une femme enceinte de jumelles qui joue de l’accordéon et boit du vin rouge sur son lit d’hôpital, des orages, des inondations, des semi-noyades et, comme l’annonce le titre, le soleil au bout du chemin.

Au milieu de tout ce bric-à-brac, on suit la narratrice comme une silhouette d’ombre et de lumière qui a toujours un train d’avance sur le lecteur. Pour lui -pour nous- elle soulève le voile sur son existence présente et passée, pointe du doigt quelques moments clefs de la vie d’une femme, et laisse retomber le voile sans un bruit. C’est qu’elle ne parle pas beaucoup des choses essentielles, ou bien qu’elle n’est pas vraiment entendue par ses proches, cette narratrice, traductrice de son métier, qui part à la recherche d’elle-même au pays du silence, accompagnée par un enfant malentendant. Qu’est-ce qu’on dit à un petit de quatre ans qui ne peut pas entendre le son de notre voix ? Qu’est-ce qu’on dit à un mari qui nous quitte parce qu’on ne veut pas d’enfant ? Qu’est-ce qu’on fait de son cœur quand on est une femme qui a du mal à s’engager -comme on entend qu’une femme s’engage socialement, amoureusement, maternellement ?
À travers le récit d’un voyage initiatique, A. A. Ólafsdóttir parle surtout de féminité et de liberté. Pas celle des Femen qui avancent les seins nus dans le monde. Il s’agit plutôt ici de la liberté de nos sentiments, de notre histoire, la liberté d’être parfois égoïste et pudique. L’auteur fait revenir la narratrice jusqu’aux sources. Les étapes de sa vie, le passage de l’enfant-fille à l’ado-femme, puis, peut-être à la femme-mère. On y devine à demi-mot la transmission d’une féminité à travers les générations, mère, grand-mère. On y retrouve le regard des hommes, de nos pères, nos frères, nos cousins, amis, maris, amants. On se demande avec elles -auteur et narratrice- ce que c’est que fonder une famille, ou de n’en pas fonder, justement. C’est quoi le temps pour soi ? Un bain moussant au bord de la rupture, ça peut-il faire mourir de bien-être ? Et puis la nature belle et terrible de l’Islande, les éléments vivants qui nous confrontent à notre condition d’humains.

On peut reprocher à ce livre de laisser le lecteur à la surface de l’histoire ; ce n’est pas si facile, malgré le côté fantasque de certaines situations, d’entrer dans ce récit lent et discret, qui fond longtemps dans la bouche comme un bonbec aigre-doux. Ça sent la nostalgie, les jours de pluie, les relations mortes-nées à côté desquelles on est passé sans savoir. Le livre menace de nous tomber des mains parfois, et il faut s’accrocher, comme s’accroche la voyageuse, accepter d’être, comme son petit compagnon, un peu sourd, un peu aveugle à cette histoire, mais poursuivre quand même le chemin jusqu’à cette embellie tant attendue. Si on aime, on peut continuer avec Rosa Candida qu’il vaut mieux lire après je trouve. Il est toujours question du voyage, de l’enfance, du fantasque et de la pudeur. Mais le héros est un jeune homme, et l’histoire se passe sur « le continent », comme l’écrit l’auteur.

La part de l'autre

Article du 03 septembre 2013

(L'article du dernier Feather. Sur ce bouquin qui m'avait tenu en état d'alerte deux jours durant.)


Qui n'a pas rêvé de changer l'Histoire ou de transformer sa destinée ?

Avant de lire La Part de l'autre d'Eric-Emmanuel Schmitt, je ne connaissais de lui que Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran et le film tiré d'une de ses nouvelles, Odette Toulemonde. J'avais été séduite par la fraîcheur de ces histoires légères-profondes, comme des contes d'aujourd'hui qui donnent à réfléchir et à rêver.

J'étais donc curieuse de savoir comment cet auteur francophone contemporain allait traiter un sujet toujours sensible et des plus noirs : la Seconde Guerre Mondiale et son personnage principal, Hitler.

La première phrase du livre : « Adolf Hitler : recalé.» donne tout de suite le ton. Schmitt ne va pas nous parler d'Histoire et de combat, mais d'un personnage-Hitler, l'entité qui représente bien sûr tout ce qu'il y a de plus sombre pour les lecteurs d'aujourd'hui. A ce mauvais Hitler, il oppose une figure positive, un Hitler-peintre qui aurait trouvé sa voie, - une autre voie.

Voilà la question centrale de ce livre, qu'est-ce qui, dans l'histoire personnelle de chacun, peut nous pousser à devenir bon ou mauvais, qu'est-ce qui va déterminer nos actes et ce que nous sommes ?

Le livre nous emporte -de causes en conséquences- au travers des deux destins les plus éloignés qui soient, celui d'Hitler tel que nous le connaissons et celui d'un Hitler artiste, heureux, épanoui. Comment ils vécurent, comment ils aimèrent et moururent ? Il n'est pas question de vraisemblance ici. Schmitt interroge les choix que nous faisons, et ceux que la vie fait parfois pour nous, sans angélisme ni manichéisme.

On est transporté d'un bout à l'autre du livre ; on est d'abord plein d'entrain pendant l'adolescence des deux jumeaux et puis on commence à souffrir avec chacun d'eux, à espérer pour eux, à se réjouir et craindre pour le bon et à suivre, médusé, la progression inexorable du mauvais. A travers ces deux êtres, c'est chacun d'entre nous que Schmitt questionne : qui es-tu vraiment, qui pourrais-tu être, qui vas-tu devenir ? L'auteur nous promène au fil des chapitres et des âges comme pour nous montrer : « Là, il pouvait encore changer. »

A travers l'histoire du héros (le bon!), Schmitt aborde aussi le thème de la création artistique et des épreuves et questionnements qui en découlent. Sans apporter de réponse ni creuser le sujet à fond, cette thématique, traitée par un écrivain renommé est toujours intéressante. On imagine que les doutes du Hilter-peinte peuvent être ceux de l'auteur-Schmitt.

En prime, dans les Editions Le Livre de Poche, on trouve des extraits du journal que tenait Schmitt pendant la rédaction du livre. Il y raconte comment il entre dans la peau de ses personnages.

Mais, même pour la bonne cause, qui voudrait être dans la peau de Hitler ?

Terrifiant.

Lire d'une traite et puis vite refermer, marcher longtemps au grand air.

Les Je-sais-pas-pantoute

Article du 02 septembre 2013
  Publié dans Madmoizelle, clicke pour voir l'article avec toutes les photos qui sont michtos.

Sarah-Maude Beauchesne sort chez PubliePapier son deuxième livre, après les Je-sais-pas, les Je-sais-pas-pantoute, (je sais pas du tout).
Si tu n'as lu aucun de ces deux livres, attends-toi à découvrir quelque chose d'addictif à base de soirées dansantes dans des piscines et de matinées les yeux collés, cheveux emmêlés dans les doigts, un grand sourire fiché sur ta face avec tes amis autour et un inconnu dans tes draps.



A la base de ces écrits, il y a un blog, Les Fourchettes, qui cause des tourments et de la vie sexu-sentimentale d'une jeune fille-femme de Montréal. On a donc des cœurs mille fois brisés, des amitiés lancinantes, des garçons beaux comme des idoles et la poésie brute de décoffrage d'une génération qui veut s'amuser et aimer. Nous quoi. Nous en courts textes ébouriffants qui te donnent envie de t'encanailler avec l'héroïne du blog et ses copains.

C'est la voix de l'auteur qui m'a d'abord intriguée. Sur France Culture l'accent québécois, les mots anglais, la voix grave et lente comme pour être sûre qu'on la comprenne (nous qui ne sommes pas de Montréal!) et tout à coup rapide quand elle se passionne, soufflée sans virgule ni censure. J'ai tout de suite cherché son blog sur le net, facile à trouver, et j'ai lu plusieurs textes d'affilé, avec la sensation d'être tombée sur quelque chose de nouveau.

Il y a la langue bien sûr, la première fois il faut s'habituer, avec ses mots inconnus qui sonnent mystérieux, des fois exotiques, l'anglais mélangé, un rythme infernal qui tient la lecture en haleine et puis des images belles qui s'épanouissent entre les histoires sexuelles.
C'est aussi cette nouvelle forme d'auto-fiction qui est assez fascinante. Sarah-Maude Beauchesne te fait rentrer dans sa vie par le trou de la serrure de sa chambre, et cette mise en scène de voyeurisme n'a -c'est rare- rien de malsain ni de sur-joué. On est à fond avec elle, comme si on recevait des messages écrits de notre meilleure pote partie en vacances pendant 2 mois.

Et puis voilà, il y a aussi du mystère: les auteurs féminines connues, de Colette à Chloé Delaume, mélangeaient le « vrai » de leur vie au « faux » de leur imaginaire, jouant à inventer ce qui pourrait être à partir de leur propre expérience. Mais si ici l'auteur met en scène son personnage dans ses textes, elle se sert aussi de son image et de celle de ses proches à travers tout le web, les réseaux sociaux qu'elle utilise comme un miroir aux alouettes reflétant tour à tour sa vie personnelle et celle du personnage, mélangeant plus que jamais le réel au fictionnel sur facebook, twitter, tumblr. Et maintenant dans ses livres.
Qui est la fille-fourchette ? Sarah-Maude ou une Sarah-Maude déformée pour l'histoire ?

Bon. Une fois qu'on a posé la question, est-ce que c'est si important d'avoir la réponse ? Avec ces livres, on a une littérature dépoussiérée entre les mains, un objet jeune, frais, sexy, qui parle de sexe, de musique, de junkfood et d'amour.
On a en bouche une écriture nouvelle, qui claque au palais quand on la dit, et on a envie de la suivre, la fille-fourchette, sur ses réseaux sociaux où elle parle de sa vie, des soirées de lancement de son livre, de ses prochains textes, de ses p 'tits pépins de tous les jours.
Et puis voilà, le net c'est bien, mais quand tu auras lu quelques textes sur son blog rose et blanc qui clignote, tu te diras comme moi qu'un livre c'est encore mieux, que tu peux le feuilleter sans le lire, faire des annotations, corner les pages que t'aimes, tu peux l'avoir n'importe où, dans les transports, en attendant ton amoureux à la terrasse d'un café, à la plage, au bureau, dans ton lit seule le soir, pendant une soirée entre copines... Il a une odeur et une saveur particulière, que le virtuel n'a pas. C'est le livre que tu pourras prêter à tes copines et que ton frère va te piquer en douce pour savoir comment c'est une fille en vrai, dedans. Sans tabou ni bienséance, avec un brin de provocation et beaucoup de poésie.

A lire partout surtout la nuit. Attention, ça donne envie de sexe et d'alcool.

Pour te procurer son livre c'est là!