(( Bonjour tous! Une nouvelle chronique litté sur un livre islandais, pour le journal Le Pourquoi pas? J'en profite pour vous dire que si vous avez des livres islandais à me recommander, romans, poésies, théâtre, n'importe, j'suis preneuse ! En attendant bonne lecture, j'espère que ça vous donnera envie. ))
Je ne sais pas si tous les Islandais savent qui est Kristin Marja Baldursdottir, mais pour le public
français, qui connait encore trop peu la littérature scandinave, on
peut simplement commencer par dire qu'elle a reçu la Knight's Cross
(en 2012) ainsi que l'Ordre du Faucon dans son pays, pour la qualité
de sa contribution à la littérature islandaise.
Et si son premier livre traduit en
français, Karitas, Sans titre, sorti aux éditions Gaïa* en
2008 avait été remarqué par la presse, vous êtes peut-être passé
à côté de ce roman sans même le savoir.
Il est grand temps de vous rattraper et
de vous plonger dans cette saga familiale qui nous parle de peinture,
de femmes et de grand nord.
Quelques mots sur l'auteur avant
d'entrer dans le vif du sujet. Kristin Marja, voyageuse et
polyglotte, auteur de plusieurs romans ainsi que d'un recueil de
nouvelles et journaliste dans le passé, a voulu offrir aux jeunes
islandaises une œuvre mettant en avant des personnages féminins
forts, pour leur montrer quelles avaient été les vies de femmes du
siècle précédent et « tirer une sonnette d'alarme ».
Selon elle, les conditions de vie des femmes en Islande sont en train
de régresser, bien que le pays ait été, de loin, un précurseur en
la matière.
Petits rappels:
- Les femmes islandaises votent pour la première fois en 1908 aux élections municipales et les listes électorales leur sont désormais ouvertes.
- C'est en 1915 que le vote est élargi aux scrutins nationaux.
- En 1980, Vigdis Finnbogadottir est élue présidente, et devient la première femme à prendre la tête du pouvoir d'une démocratie. Elle sera maintenue à la présidence par les électeurs jusqu'en 1996, date à laquelle elle décide de ne pas se représenter.
On pourrait croire que dans un tel
contexte la vie des femmes islandaises devrait être plus belle que
n'importe où ailleurs. Pourtant, selon l'auteur, tout n'est pas si
rose: « Les femmes islandaises ont les journées de travail les
plus longues, et elles sont plus éduquées que les hommes également.
Elles devraient être indépendantes, mais elles n’ont pas le
temps. » (Propos recueillis en 2008 par Claudine Despax et
Aurore Guilhamet, à lire ici).
Loin des revendications féministes
avec banderole et mégaphone, l'auteur décide donc de nous faire
entrer au cœur de la vie de Karitas, enfant, jeune fille puis femme
timide mais déterminée. Depuis sa naissance jusqu'à son grand âge,
on court à ses côtés, après ses rêves et ses aspirations. Ses
traits de caractères principaux ? L'indépendance et la ténacité
nécessaire, tout au long des années, pour réussir cette chose
simple et si difficile: devenir quelqu'une.
Kristin Marja dit: « J'ai voulu
suivre une femme islandaise pendant cent ans. »
Et c'est ce qu'elle fait avec Karitas,
Esquisse d'un rêve, puis Karitas, L'art de la vie, le
second volet de cette saga.
Le premier roman suit la mère de
Karitas à partir de 1915, personnage fort et emblématique, saleuse
de hareng et mère de famille nombreuse, inspiré par la propre
grand-mère de l'auteur. On voit l'émergence de Karitas, qui
deviendra le nouveau tempérament indépendant de la fratrie, ses
études et ses désirs, sa rencontre avec son mari et les difficultés
auxquelles sont confrontées de nombreuses femmes (pour ne pas dire
toutes!), comment faire cohabiter dans une seule vie toutes les
entités que nous incarnons? Comment marier vie de famille et vie
artistique ?
Le second roman est une suite
chronologique des aventures de Karitas et commence en 1945.
On y retrouve tous les personnages du
premier volet, et on poursuit avec eux cette grande fresque familiale
avec, en son coeur, notre héroïne qui se débat entre son désir de
peinture et les normes sociales féminines de l'époque.
Kristin Marja semble vouloir tout nous
montrer. Les affres du milieu artistique, les difficultés et les
joies de la création, l'amour empoisonné, (avec Sigmar le mari, ses
bateaux de pêche et ses mystères).
La fratrie qui accompagne Karitas, la
soutenant et l'entravant tour à tour offre de nombreux seconds
personnages passionnants, et les voyages lorsqu'elle vit à
l'étranger, notamment en France, où sa petite silhouette blonde se
mêle à la faune de la bohème parisienne nous entraînent dans un
flot d'aventures exubérantes.
Et puis Kristin Marja nous montre aussi
les femmes entre elles, les rivalités, les jalousies, les trahisons,
les complicités éternelles et les aides précieuses.
Le thème de la transmission est
également abordé. La filiation, depuis la mère de Karitas, jusqu'à
sa propre petite-fille. Comment les femmes des générations
précédentes influencent et soutiennent les générations suivantes.
L'histoire est pleine de
rebondissements, de rencontres, de retrouvailles. On passe d'un
continent à l'autre, de générations en générations, avec tous
les secrets de famille qui mûrissent en silence puis explosent,
donnant à ces livres une très grande dimension romanesque.
Tout ça peut paraître très dense, et
si les romans sont épais, rassurez-vous, l'écriture de Kristin
Marja est pleine de finesse et de douce ironie. Elle nous entraîne
dans ce voyage au long court en distillant chez le lecteur des
sentiments rarement tranchés ou manichéens. On flotte dans la
narration et quand on craint de perdre pied, une respiration nous est
offerte par l'auteur: les différentes parties du roman sont
entrecoupées de descriptions des oeuvres de Karitas, et l'on se sent
non plus dans un roman, mais dans une exposition rétrospective de
l'artiste, donnant davantage de vraisemblance au roman, si cela était
nécessaire.
Kristin Marja, qui a fait beaucoup de
recherche historiques pour bâtir son histoire et nous dépeindre la
vie des femmes entre 1915 et 1999 nous montre également deux choses.
Qu'elle a une bonne connaissance des arts picturaux depuis les
représentations figuratives jusqu'à l'art abstrait et le
surréalisme. Et qu'elle aime ardemment les paysages islandais qui
sont, tout au long du roman, dépeints avec beaucoup de grâce. On
voit Karitas dans le froid, on ressent le vent, la neige, les
volcans, la mer tout autour et les oiseaux de l'île avec
l'impression d'y être allé.
Si, comme moi, vous mettez un petit
moment avant d'entrer dans ce roman, n'hésitez pas, il vous sera
d'autant plus difficile d'en sortir. J'ai fermé le livre avec la
sensation d'avoir fait une véritable rencontre, et Karitas et ses
compagnes continuent de m'accompagner par petits bouts, en
pointillés, exactement comme l'a voulu Kristin Marja Baldursdottir.
*Une
petite précision qui pourrait vous aider si vous cherchez ses
livres. D'abord édités chez Gaïa, une maison d'édition spécialisé
dans la littérature scandinave, ils avaient pour titre Karitas,
Sans titre (clin d'œil à certaines toiles d'artistes auxquelles
le peintre n'a pas donné de titre), et Chaos sur la toile.
Puis ce sont les éditions Points qui ont repris les titres et les
ont modifiés, le premier devenant Karitas, L'esquisse d'un rêve
et le second, Karitas, L'art de la vie. On note la touche
beaucoup plus optimiste qu'ont apporté les seconds éditeurs.
Le
texte ne change pas en revanche, puisque d'une édition à l'autre
c'est toujours l'islandais Henry Kiljan Albansson qui signe la
traduction.
Bonne lecture!
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