Hier
soir je regardais le débat sur les européennes à la télévision.
J'ai appris sur les réseaux sociaux, vers 20h, le haut pourcentage
de votes en faveur du front national, et, par curiosité, j'ai eu
envie d'observer les réactions de ceux dont les voix portent le plus
dans notre pays, et qui sont censés nous éclairer sur le sens de
cette journée et de ces votes.
Je
ne m'attendais pas spécialement à des échanges supérieurs à ceux
que l'on voient habituellement, mais dans des circonstances justement
particulièrement, on serait en mesure de s'attendre à mieux.
-
Pas du tout.
D'abord
on ne nous parle pas de ce que ce vote va changer concrètement. Ce
que le résultat implique, on ne le sait pas. En tout cas, ça n'a
pas l'air d'être la priorité. La priorité, comme d'hab, c'est de
savoir si oui ou non c'est un vote sanction pour le gouvernement en
place, et si oui ou non cela signifie qu'Untel va se présenter pour
les présidentielles de 2017.
Mais
ce que cela implique pour la place de la France en Europe, pour les
prises de décisions du parlement européen, ça, ça ne vient qu'en
fin d'émission, où l'on apprend que globalement l'équilibre
gauche/droite reste le même au Parlement, et que du coup ça ne
change rien.
Ah
bon.
C'est
donc de l'ordre du symbole, ce qui nous arrive. C'est donc de l'ordre
de l'image.
Alors
quelle image donnons-nous ? Ou plutôt, peut-être encore plus
intéressant, quelle image avons-nous de nous-même ?
Sommes-nous,
un quart d'entre nous des xénophobes, homophobes, misogynes et
nationalistes ? Je ne pense pas.
Une
des rares choses intéressantes que j'ai entendue hier, c'est que si
le pourcentage de vote en faveur du fn est hallucinant, leur nombre
de voix n'est pas si haut, en vérité. C'est à dire que le taux
d'abstention, de votes blancs et nuls est immense. On le sait bien,
mais il faut le redire.
Sur
les réseaux sociaux toujours, il y a eu bien sûr, une vague de
réactions, souvent pleine de colère à l'encontre, d'abord des
abstentionnistes, ensuite des votants qui ont osé mettre un bulletin
fn dans l'urne.
A
la télévision, on observe ces deux races d'êtres humains à la
loupe, tentant de décoder grossièrement ce qui pousse les uns et
les autres dans de tels retranchements.
Ça
ne me paraît pourtant pas très compliqué.
Il
suffit d'entendre tel ou tel membre du personnel politique dire avec
aplomb, micro en main, face à la caméra, que le peuple n'a pas
compris le message du parti / l'enjeu de ces élections / la campagne
menée / les contraintes économiques etc. La liste est longue de ce
que le peuple ne comprend pas, visiblement.
Mais
cela fait maintenant presque 10 ans, que nous avions voté à 55%
contre l'Europe qui était en train de se construire. Et globalement
cela n'a pas eu beaucoup de poids.
Et
nous avons voté il y a 2 ans pour une politique dont le message
était, en gros : plus de paix sociale et moins de pouvoir à la
finance.
Or
les questions sociales ont divisée la France, et le pouvoir des gros
bras de la finance n'a pas diminué -en tout cas vu de cette lucarne
du peuple qui n'y comprend rien et dont nombre d'entre nous observent
et subissent la situation.
Partant
de ces constats, comment croire encore en des partis dont les guerres
internes ternissent l'image et dont les revirements de politiques
discréditent toute parole ? Quel moyen avons-nous, dans une telle
situation, d'exprimer notre désir de changement ? Les pavés sont
usés, les slogans vidés de tout sens et les manifestations ne
servent plus à grand chose puisque, quelque soit le gouvernement, la
réponse est toujours « ce n'est pas la rue qui gouverne! ».
Mais qui gouverne alors ?
Pas
moi, puisque je fais partie de cette sale race d'humains
abstentionnistes, pire que ça, même pas inscrit sur les listes
électorales. Pourquoi ? Parce que le mépris du personnel politique
envers les citoyens français ne me donne aucun désir d'implication
dans ce qui se passe. Pourtant il est faux de croire que cela ne me
touche pas.
J'aimerai
pouvoir dire mon mécontentement. Mais si je vote blanc, c'est comme
si je m'abstenais.
Le
succès du fn ne repose plus sur un discours xénophobe (bien que ses
membres les plus actifs et les plus influents le soient encore
évidemment).
Son
succès repose avant tout sur la reconnaissance de ce mécontentement.
Dire
donc que les abstentionnistes sont des irresponsables et les votants
fn des fachos, c'est renforcer le pouvoir de la parole qui reconnaît
la légitimité à être en colère ou simplement las de tout ce
cirque politico-médiatique.
Un
premier moyen de contre-carrer la montée des votes fn, et celle de
l'abstentionnisme, ce serait de proposer aux électeurs la
reconnaissance de leur refus de se faire prendre pour des imbéciles.
C'est
ce qui existe dans certains pays, qui prennent en compte davantage
qu'en France le vote blanc : les Pays-Bas, L'Espagne, le Brésil, la
Colombie et le Pérou: pour ce dernier pays, lorsque deux tiers des
électeurs votent blanc, le scrutin est annulé, ce qui veut dire que
le peuple possède, d'une certaine manière, un droit de véto.
Encore
faut-il que le véto soit entendu (cf. nos 55% en 2005...).
Ce
qu'il faudrait donc, c'est que le personnel politique accepte
d'entendre dire que les élus ont moins de légitimité qu'ils ne le
prétendent, et par conséquent qu'ils soient plus respectueux des
engagements qu'ils prennent auprès des électeurs. Pas facile hein.
Ce
qu'il faudrait, c'est qu'ils soient moins méprisants envers ce
peuple qui « ne comprend pas », mépris doublé de
cynisme puisque, bien souvent, leur but est précisément de n'être
pas compris. Ou de ne laisser comprendre que ce qui les arrange le
mieux à un moment ou à un autre.
Il
est vrai que cracher personnellement sur chaque membre du personnel
politique, sur les journalistes, sur ceux qui votent, qui ne votent
pas, qui votent mal, ça soulage. Et puis il faut être bien-pensant.
Mais
si, au lieu de cela, nous acceptions le choix de chacun, et que nous
l'intégrions, non pas comme l'erreur des uns ou des autres, mais
comme l'erreur d'un système dans lequel les gens ne se sentent plus
impliqués.
Si
nous nous dotions des moyens d'améliorer durablement notre système
démocratique ?
La
reconnaissance du vote blanc ne serait bien sûre pas suffisante à
elle seule. Mais ça pourrait changer la donne. Et c'est d'ailleurs
pour cela qu'on ne l'applique pas.
En
attendant le jour heureux où nous irons, non pas vers le mépris de
ceux qui pensent différemment de nous, mais vers l'acceptation
réelle d'un échec de notre système politique, il y a fort à
parier que tous ceux qui ne sont pas convaincus par les discours que
l'on nous sert seront toujours plus nombreux à voter fn, ou à ne
pas voter.
Article à propos du vote blanc, dans Libé.
Article à propos du vote blanc, dans Libé.
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