Italo Calvino, cet auteur
italien du XX eme siècle, connu notamment pour ses contes
philosophiques tel Le baron perché ou ses aventures poétiques
d'un quotidien banal dans Marcovaldo, avait depuis quelques
années mystérieusement disparu des rayons des librairies, tandis
que ses œuvres se vendaient à des prix de plus en plus élevés
dans le coin des occasions.
Tout le milieu littéraire
s'interrogeait, les professeurs qui le prescrivent dans leur
programme se questionnaient, et les amateurs de cette littérature
singulière voyaient s'épuiser les ouvrages, impuissants.
Finalement, le jour s'est fait dans
cette histoire : une mésentente avait éclaté entre les héritiers
de l'auteur et l'agent de la maison d'édition Seuil qui gérait
l'œuvre. Problème de traduction, sur lequel aucune des deux parties
ne s'est trop étendue, et c'est Gallimard qui a fini par reprendre
le contrat, au printemps 2012, avant de rééditer tout d'abord la
trilogie Nos ancêtres qui comprend Le vicomte pourfendu,
Le baron perché et Le chevalier inexistant, œuvres à
la frontière entre le roman et la fable, où se mêlent philosophie,
initiation, humour et regard critique sur le monde.
Ce n'est pas un hasard si Gallimard,
qui a prévu de rééditer l'ensemble du travail de Calvino, a
commencé par cette trilogie: ce sont en effet trois livres très
personnels mais qui conviennent particulièrement à la découverte
de l'auteur, dont l'écriture et la structure des romans évoluera
beaucoup au fil des années.
Il faut préciser qu'Italo Calvino,
écrivain engagé qui a produit des nouvelles, des romans, des
essais, qui fut journaliste, critique et même traducteur reste perçu
par le public français comme un auteur fantaisiste, membre de
l'Oulipo (OUVroir de LITTérature POtentielle, Queyneau et Perec en
ont fait partie également) mais dont on ne mesure peut-être pas la
force d'engagement et l'immense créativité littéraire.
Pour exemple, son premier roman, Le sentier des nids d'araignées sorti en 1947 (il est alors âgé
de 24 ans), traite à travers les yeux d'un garçon de dix ans, de
son expérience de la résistance italienne. Pus tard, il introduira
des éléments fantastiques dans ses livres pour aborder de manière
décalée et nuancée des problèmes très réalistes qui traitent
tous de la difficile condition humaine, comme dans Le vicomte
pourfendu, histoire d'un soldat qu'un boulet de canon a séparé
en deux parties devenues indépendantes, l'une bonne et l'autre
mauvaise, et dont on suit les évolutions dans le monde.
Gallimard a donc fait le choix de
publier progressivement la vingtaine d'ouvrages prévue, afin de
laisser le temps au public de s'approprier d'avantage l'auteur et de
le redécouvrir petit à petit, à travers ses multiples facettes.
Pour cela, l'ensemble de la réédition s'étalera jusqu'en 2018, et
l'on parle depuis un moment déjà de sa potentielle entrée dans la
Pléiade. C'est par ailleurs le traducteur Martin Rueff qui est
chargé de retraduire l'œuvre, et ce courant 2014. On remarquera les
couvertures des livres, illustrées d'œuvres très graphiques, sans
doute une façon de situer l'auteur dans un milieu culturel moderne.
C'est donc un livre papier et un livre
numérique pour chaque œuvre qui sortiront, dans une version
homothétique, c'est à dire non enrichie, ce qui est un peu dommage
car le travail de Calvino se prêterait particulièrement bien à des
innovations numériques tant il a joué, dans une partie de son
œuvre, sur l'absence de chronologie linéaire, notamment dans Les
villes invisibles ou Si par une nuit d'hiver un voyageur,
livre étonnant qui trace un récit flou à travers dix débuts de
romans dont aucun ne sera achevé.
Une frilosité de la parte de Gallimard
? Près de 30 ans après sa mort (en 1985), on peut aussi se dire que
l'on n'a pas fini de découvrir Calvino, qui reste un auteur
avant-gardiste, dont on ne cerne pas encore l'immense richesse
d'innovation et le caractère excessivement moderne de l'œuvre, et
peut-être n'est-on pas encore prêt à l'aborder dans toute sa
complexité.
On espère cependant que cette
réédition permettra de continuer à savourer cet écrivain, et
qu'il va transmettre le goût de la littérature à des générations
futures de lecteurs de plus en plus nombreux!
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