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Edouard Louis, 21 ans, étudiant en
sociologie à l'École Normale Supérieure signe chez les éditions
Seuil son premier roman, En finir avec Eddy Bellegueule. Un
titre et un patronyme qui aiguisent la curiosité et que la presse et
la critique ont salué avec enthousiasme, à l'unanimité. Roman
sélectionné pour le Goncourt du Premier roman 2014, et pour le Prix
du Roman des étudiants France Culture – Télérama.
Ce livre, c'est l'histoire de l'auteur
lui-même, ce nom c'est le sien avant qu'il n'en change. A 21 ans, il
parvient enfin à se défaire de cette identité qui lui a été
transmise et qui est indissociable pour lui des violences qu'il a
subies, et qu'il raconte dans son roman, dernier acte (on le lui
souhaite) pour couper le cordon. Entre récit autobiographique, roman
sociologique et réflexion politique, ce livre est un livre de
frontières, qui raconte la nécessité de passer d'un milieu social
à un autre, non par rébellion, mais par nécessité, pour qu'une
survie soit envisageable.
Né dans une France pauvre, qu'il taxe
de tous les vices qu'on lui attribue généralement : racisme,
homophobie, violence, alcoolisme, ignorance proche de
l'analphabétisme, Eddy a le tort de ne pas ressembler aux siens,
d'être efféminé, et pour cela, il se sent perpétuellement rejeté
par sa famille.
Il est celui qui ne fait rien comme les
autres, et si d'abord il va entreprendre tous les efforts possibles
pour se faire accepter, pour être un des leurs, ses différentes
tentatives seront vaines (pas de spoiler ici, on sait d'avance que ça
finit mal). Eddy Bellegueule est toujours rattrapé par sa vérité :
son corps, sa voix, ses gestes, révèlent une identité différente,
qui s'impose à lui, qui le trahit, et dont il voudrait se défaire,
en vain. Il n'est pas le digne fils de son père « un dur »,
un vrai mec. Il préfère le théâtre au foot, ses copains sont des
copines, et il n'aime pas les filles.
Alors à l'école, il est le « pédé »,
la « tarlouze », la « gonzesse ». Dans un
milieu où la virilité est la valeur la plus recherchée, on peut se
douter qu'il passe de sales moments. Humilié, battu, il raconte sa
vie de collégien douloureuse où il attend chaque jour deux autres
garçons qui le frappent et lui crachent au visage, dans une montée
de violence et d'humiliation qui fait se retourner le cœur, rien
qu'en lisant ses mots. Et l'on voit naître en Eddy des sentiments
ambigües pour ses bourreaux, qu'il déteste évidemment plus que
tout, mais qui sont, jour et nuit, au cœur de ses pensées.
Ce que réussit ce livre, c'est la
retranscription de la violence constante qui est faite à l'égard
d'un être différent à son milieu, en famille ou durant la
scolarité. Edouard Louis parvient à nous faire ressentir les
sentiments de dégoût de soi-même, d'incompréhension face au
rejet, de questionnement quant à sa propre identité. On perçoit
très bien aussi la haine sourde et aveugle de ceux qui se liguent
contre un individu isolé et vulnérable, qui se sentent légitimes
dans leur agressivité, simplement parce que l'autre leur est
étranger – par ses manières, ce qu'il dégage, ce qu'il provoque
en eux de différent.
Là où je suis plus réservée, c'est
sur les questions de distance, de nuance, de recul. On a beaucoup
écrit sur ce livre, et presque partout, j'ai lu que l'auteur faisait
preuve de toutes ces qualités. Pour ma part je dirais que le recul,
il n'en a pas encore suffisamment. Si on comprend bien que son
existence est un cauchemar, il y a des moments infimes de bonheur,
que l'auteur semble vouloir laisser à la marge de son récit, comme
cette très belle scène de son succès au théâtre qui paraît
n'avoir aucune conséquence pour lui, quand on imagine pourtant
qu'elle a dû être fondatrice de son identité, de manière positive
cette fois.
De la même manière, on a envie d'en
savoir plus sur les membres de cette famille, sur les contradictions
qui donneraient de la richesse et de la profondeur à chacun. Un père
raciste dont le meilleur ami a été un Arabe, violent dans ses
paroles mais qui se refusera toujours à l'être physiquement, quitte
à se faire battre par son fils aîné, sur qui il ne lèvera pas la
main. Une mère dont la fonction première est d'être mère
(fille-mère d'abord, sans emploi le plus souvent, c'est elle-même
qui se sent ainsi), et qui perd un fœtus sans la moindre émotion
visible... Tout cela laisse songeur.
Il semble qu'il y avait là matière à s'interroger plus en nuance sur ces personnages, d'autant qu'ils sont de véritables personnes, Edouard Louis ne le cache pas.
Il semble qu'il y avait là matière à s'interroger plus en nuance sur ces personnages, d'autant qu'ils sont de véritables personnes, Edouard Louis ne le cache pas.
Finalement, dans ce roman touchant,
cru-trash et qui nous immerge dans ce milieu social d'une classe
oubliée, l'histoire des « personnages secondaires »
reste floue, comme taillée dans un seul bloc, qui ne permet qu'une
vision négative, et des interrogations en suspens.
En tant que lectrice, j'aurai aimé que les contradictions soient plus creusées, pour permettre peut-être plus de compréhension, et amener à ce recul que l'écriture (surtout si l'on écrit un roman sociologique) devrait permettre d'atteindre. Il est sans doute encore un peu tôt pour ça, et j'attends, quant à moi, le prochain roman d'Edouard Louis avec intérêt.
En tant que lectrice, j'aurai aimé que les contradictions soient plus creusées, pour permettre peut-être plus de compréhension, et amener à ce recul que l'écriture (surtout si l'on écrit un roman sociologique) devrait permettre d'atteindre. Il est sans doute encore un peu tôt pour ça, et j'attends, quant à moi, le prochain roman d'Edouard Louis avec intérêt.
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